Statue "Le chant des voyelles", A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu".
Y est aussi une voyelle
Poème : Voyelles, le poème le plus célèbre de Rimbaud
"Voyelles" est le 38ème poème sur 44 du recueil "Poésies"
A noir, E blanc, I rouge,
U vert, O bleu
: voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes :
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles, Golfes
d'ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles ;
I,
pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;
U,
cycles, vibrement divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides
Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux ;
O,
suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges :
- O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux
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Poésies
1- Les étrennes des orphelins
2-Sensation
3-Soleil et chair
4-Ophélie
5-Bal des pendus
6-Le Châtiment de Tartuffe
7-Le forgeron
8-A la musique
9-Morts de Quatre-vingt-douze et 93
10-Vénus anadyomène
11Première soirée
12-Les réparties de Nina
13-Les effarés
14-Roman
15-Le mal
16-Rages de Césars
17-Rêvé pour l'hiver
18-Le dormeur du Val
19-Au cabaret-vert
20-La Maline
21-L'éclatante victoire de Sarrebrück
22-Le buffet
23-Ma Bohème (Fantaisie)
24-Les corbeaux
25-Les assis
26-Tête de faune
27-Les douaniers
28-Oraison du soir
29-Chant de guerre parisien
30-Mes petites amoureuses
31-Accroupissements
32-Les poètes de sept ans
33-L'Orgie parisienne ou Paris se repeuple
34-Le coeur du pitre
35-Les pauvres à l'église
36-Les mains de Jeanne-Marie
37-Les soeurs de charité...
38-Voyelles
39-L'étoile a pleuré rose au..
40-Le juste restait droit..
41-Ce qu'on dit au poète à..
42-Les premières communions
43-Les Chercheuses de poux
44-Le bateau ivre
Voyelles chez Wikipedia
Voyelles par Abardel
Ces associations sont presque exclusivement fondées sur le rapprochement d'images évoquant la même couleur : rouges sont le sang et les lèvres, verts les pâturages et les mers, etc. Le rapport du phonème aux images est généralement arbitraire : pas le moindre "U", par exemple, dans le tercet consacré à cette voyelle.
Une autre analyse pour le rapprochement d'images avec les voyelles, le I rouge avec le rouge à lèvre, le A noir avec la mouche.
"Voyelles"
est de loin le plus célèbre des poèmes
de Rimbaud. Il est vrai que ce poème de Rimbaud partage avec les
"Correspondances" de Baudelaire le privilège d'être
l'un des textes le plus souvent soumis à la réflexion.
Tous deux ont cherché à découvrir au-delà
des apparences le sens profond du mystère universel. Rédigé
dans les semaines qui suivent les "Lettres du voyant", recopié
par Verlaine et reproduit dans ses Poètes maudits, le fameux sonnet
se prête évidement à de nombreuses interrogations.
L'alpha et l'oméga
Le premier vers fixe les perceptions chromatiques des
5 voyelles de l'alphabet français, A,E,I,O,U, énumérées
ici dans le désordre avec inversion entre le U et le O. Le O final de la série lui fait évoquer
l'oméga, la lettre ultime de l'alphabet grec. De la première
lettre A (alpha), à la dernière O (Oméga) le système est complet, parfait. Les voyelles sont
en majuscules, la construction parataxique (sans lien)
avec le mot "voyelles", détaché comme une sorte d'incantation. La syntaxe du poème se compose de quatre distiques (groupe de vers, de même sens)
dans l'ordre des voyelles réalisée par l'artifice de l'enjambement
des golfes d'ombre. La dernière apostrophe, comme solennelle "-
O l'Oméga rayon violet de Ses Yeux", isolée par le
tiret, est le point d'orgue confirmant la vision du "voyant".
Les tournures principales, qui contiennent les images associées
aux lettres, sont nominales, en substantifs compréhensifs "corset",
"golfes". On va toujours, d'un mouvement ascensionnel régulier,
de la lettre au mot, puis du mot à la phrase qu'est le vers, puis
au tissu de mots qu'est le poème. Ainsi est suggéré
le pouvoir du Verbe poétique. Que le A soit noir ou bleu importe peu finalement ; on joue avec les lettres pour figurer les diversités. Le texte offre une
lecture plurielle, les mots éveillent des images bien plus
encore qu'ils n'en évoquent et c'est un monde nouveau que l'on
veut mettre en mouvement. Les "naissances latentes" sont celles
des poèmes à venir, en devenir dans les mots, images fulgurantes, "illuminations"
verbales se succèdent dans un mouvement continu comme un prélude.
Le poème constitué d'une seule phrase rebondit sur les lettres, sur les mots et contribue peu à peu à donner
l'impression d'assister à sa genèse à travers les
images qu'il éveille plus qu'il n'évoque.
Correspondances
Le premier système de structuration du monde,
pour le poète est celui des mots, dont un des
éléments, les voyelles en sont les quintessences. Mais un
second système vient doubler le premier, celui des couleurs. Aux cinq voyelles Rimbaud fait correspondre cinq
couleurs, selon un choix qu'il indiquera plus tard gratuit
ou arbitraire. Il invente la couleur des voyelles sans logique.
Certains ont souligné un ordre : d'abord le contraste "noir/blanc"
puis les trois couleurs du spectre,"rouge/vert/bleu". Le dernier
vers indique aussi le violet situé à l'extrémité
du spectre. Le noir, qui commence la série se conçoit comme
une origine, symbolise du néant, des ténèbres d'où
va surgir la lumière, le blanc qui les contient toutes. Mais tout
le problème de "Voyelles" n'est pas de savoir pourquoi
A est noir plutôt que bleu, il est d'admettre que A est un objet
avec lequel on peut jouer, un signe auquel on peut donner
diverses interprétation dans une sorte d'alchimie du langage. Étonnante
modernité que l'entreprise rimbaldienne qui tient à la volonté
de considérer les lettres, les mots, comme de simples objets
graphiques ou sonores qui ont un sens en soi
mais qui peuvent en éveiller une multitude d'autres. Rimbaud cherche
à créer avec son alphabet coloré, un verbe poétique
accessible, une féconde polysémie (un mot
qui éveille plusieurs sens).
Les étapes de l'alchimie rimbaldienne.
Pour Rimbaud la poésie n'est pas une simple démarche
intellectuelle, mais elle est liée à la vie. Elle
n'en est pas le reflet mais la force, le principe même.
Le rôle du "Voyant" est donc d'impliquer son existence
dans cette recherche, de s'infliger les "souffrances"
nécessaires pour arriver à l'inconnu. Son entreprise commence
avec le A des
réalités obscures puis l'avancée vers l'innocence,
la pureté incarnée par la lettre E, comme avance le "golfe"
sur la terre ou sur le vers suivant. C'est l'étape de l'abri sous
les "tentes. Puis c'est le I de l'éclosion finale, éclos
"des lèvres". Une pause avec le U lui dévoile
des paysages ou paissent des créatures hallucinatoires.
Enfin pour achever le cycle, la délivrance du "clairon"
qui décharge ses visions, ses éblouissements.
Le poète a ainsi effleuré les "Anges"
symbole de perfection, et sa poésie devient le "rayon"
de "Ses Yeux". Alliant sonorités
et couleurs, "Voyelles" incarne le vu du "dégagement
rêvé" des sens dans la recréation
d'un monde. Ainsi réinvente-t-il un alphabet conjuguant les sens
et qui poussera en avant la poésie.
Associations
et synesthésies
"Voyelles" est le premier poème rimbaldien à mettre
en avant l'association comme principe d'écriture. Chaque lettre éveille de multiples images, d'impressions
visuelles, sonores, olfactives. Chaque voyelle est illustrée d'un
ou plusieurs tableaux qui sont autant d'hallucinations, d'illuminations.
Il y en a treize (comme les apôtres) dans une sorte de kaléidoscope
mettant à contribution tous les sens. Il y a fusion des évocations
de couleurs, d'odeurs, de sons, de mouvements, avec une préférence
des formes et des sons. "A" prononcé est un cri d'horreur
qui renvoie aux noirceurs, aux puanteurs mais la forme de la voyelle rappelle
l'abdomen d'une mouche. Ces associations rimbaldiennes rappellent les
fameuses "synesthésies" baudelairiennes, comparaisons
de la fraîcheur des parfums à celle des chairs d'enfants,
de la douceur des hautbois à celle du vert des prairies. Beaucoup
ont cherché un sens, à ces étranges associations.
"E" blanc, le féminin,
l'innocence, la pureté est associée à "vapeur",
"glacier", "ombelles", "I" rouge, de l'ivresse, de la folie, du sang rouge qui monte
à la tête est associé à "sang", "rire",
"ivresse", "U", vert des vallées par la forme est associé à "cycle",
"paix", "animaux", "rides", et "O" bleu par analogie de son avec l'eau est associé
à "clairon", "silence", "anges".
Si on examine la forme de la voyelle, et si on peut trouver dans la majuscule A le dessin de la mouche, triangle formé par l'insecte,
ailes repliées, il est bien difficile de découvrir une correspondance
sonore entre la prononciation du "a" et la
perception de la couleur "noir". Rien de très
probant dans la démonstration. Par association
d'idées on pourra trouver des analogies avec les "grands fronts
studieux" et la forme en U des rides, creusées par la réflexion.
On retrouve le même procédé de "sorcellerie évocatoire"
chez Baudelaire dans la recherche de la vérité par le déchiffrement
du mystère, la sublimation du plomb en or. Le dernier tercet est
sur ce point révélateur. La forme du O peut
symboliser le pavillon du "Clairon", qui doit
annoncer le silence de la fin des temps, l'apocalypse, en "strideurs étranges". Les "silences" que Rimbaud
prétendait écrire sont ceux du tiret, de l'indicible, de
l'ineffable. L'extase de l'apostrophe O, peut symboliser la réussite
de l'alchimie du "violet" fusion des "ivresses" du
I rouge et des "strideurs" du O bleu. Il reste à s'interroger sur l'appartenance des yeux,
magnifiés par les deux majuscules, sont-ils ceux
de Rimbaud ?
Conclusion
On pourrait voir dans ce sonnet un simple exercice d'audition colorée,
un truquage poétique sur des voyelles, ou même un canular. Le poème n'a pas fini de faire couler l'encre et c'était
certainement le but. "Voyelles" est avant tout un poème
d'éveil qui cherche à parler et à faire parler. L'exercice
de style pourrait paraître ludique mais n'en est
pas moins fécond car il témoigne de l'arbitraire
de tout jeu associatif. "Voyelles" restera le texte le plus
représentatif de ce dépassement rimbaldien, à la
recherche de ses visions, de son voyage, de sa voyance. La touche finale
de "Ses Yeux" qui s'arrête sur le violet,
ultime couleur du spectre solaire fait de "Voyelles" le texte
le plus moderne écrit par Rimbaud.
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