
L'Eternité et un jour
affiche du film de Théo Angélopoulos
En rouge les variantes du texte dans une saison en enfer
L'éternité
Elle est retrouvée . (./!)
Quoi ? - L'Éternité.
C'est la mer allée (mêlée/allée)
Avec le soleil. (au/avec)
Âme sentinelle, (Mon âme éternelle)
Murmurons l'aveu (Observe ton vu)
De la nuit si nulle (Malgré la nuit seule)
Et du jour en feu. (le/du)
Des humains suffrages, (Donc tu te dégages)
Des communs élans, (Des humains suffrages)
Là tu te dégages (Tes communs élans !)
Et voles selon. (Tu voles selon...)
Puisque de vous seules, (Plus de lendemain)
Braises de satin,
Le Devoir s'exhale (Votre ardeur)
Sans qu'on dise : enfin. (Est le devoir)
Là pas d'espérance, (Plus de lendemain)
Nul orietur. (Pas d'orietur)
Science avec patience, (et/avec)
Le supplice est sûr.
Elle est retrouvée. (./!)
Quoi ? - L'Éternité.
C'est la mer allée (mêlée)
Avec le soleil. (au) |
Plan
1-Un chantage à Verlaine
Une évocation de sa disparition
Une tentative pour convaincre Verlaine de le préférer à Mathilde
Un rappel des amours sulfureux
2-Une mise au pied du mur de Verlaine
Aucune aube ne se lèvera sans lui
La fusion féconde de l'eau et du feu
Une poésie de l'indécis, de la dissolution.
Commentaire composé
Le poème "l'Éternité"
de mai 1872 est le 12ème poème du recueil
"Vers nouveaux". C'est le 3ème des quatre poèmes
regroupés sous le titre "Fêtes de la patience"
comprenant "Bannières de mai, "Chanson de la plus haute
tour" et enfin le dernier "Âge d'or". Ce poème
sera repris, avec des modifications dans "Une saison en Enfer".
La patience dont le tempo est donné par la longueur des vers, courte,
est tout simplement celle de Rimbaud "l'azur' qui s'est retirépar
délicatesse du foyer Verlaine écrit-il dans le poème
précédent pour lui permettre, lui "l'onde", le
changeant de se décider entre lui et Mathilde. Rimbaud réussira
car dès le mois suivant Verlaine quittera Mathilde pour ce qui
deviendra "Une saison en Enfer".
I-
Un dialogue imaginaire avec Verlaine
Le début du poème donne l'image de quelqu'un qui vient d'être brusquement réveillé, Quoi ? "Elle
est retrouvée", ces quelques mots introduits par le pronom
personnel elle qui désigne généralement
une troisième personne fait penser à quelque chose de disparu dont on veut connaître le sort, est-ce sa montre qui ne l'a jamais quitté et qui mesure le temps qui s'égrène
indéfiniment ? Cette troisième personne pourrait être
sa conscience, une sorte de voix intérieure qui
lui pose la question par ce pronom interrogatif "quoi". La réponse arrive, c'est l'éternité, terme vague et
à plusieurs sens. Le sens commun comprend l'éternité
comme l'immortalité de l'âme séjournant
dans un paradis aux confins d'un ciel couleur d'azur même s'il a
la couleur noire chez Rimbaud. L'éternité c'est donc la mort, il s'agirait donc dans ce poème d'une intention suicidaire, d'un appel au secours en direction de Verlaine
pour le faire revenir à ses cotés en lui rappelant les moments
d'amour passés ensemble, les braises de satin.
Rimbaud ne manquent pas d'arguments pour le faire revenir qu'il présente
ici sous la forme d'un dialogue. Il reproche à
Verlaine sa passion trop classique, ses suffrages, pour sa femme Mathilde,
un banal élan humain dont il doit se dégager
car Mathilde constitue comme un fil à la patte qui l'empêche
de voler vers les sommets de l'imaginaire. Le ton introduit
par le tutoiement est familier "tu te dégages". Chez Rimbaud, le temps est toujours celui d'un départ, tempo d'une existence toujours sur le
qui vive, une âme sentinelle, un tempo souvent présenté
comme ici par des interrogations ou va-t-on ? au combat ? Verlaine ne
peut pas rester dans le confort banal de son foyer. Il
l'invite à se réveiller rapidement et venir à ses
cotés, à revivre les lendemains d'amours
de braise. Rimbaud fait clairement comprendre à Verlaine qu'en
restant avec Mathilde, ce fil à la patte, il n'y a aucun
espoir poétique, aucune inspiration possible, une vie
de dur labeur tout au plus, le supplice. La conclusion
du poème par le même quatrain qu'au début du poème
constitue une sorte de boucle, comme une vie qui revient
au néant initial et confirme la thèse suicidaire de notre auteur, simple chantage l'intention de Verlaine
qui accourra immédiatement.
2-Verlaine au pied du mur
L'azur représentée par Rimbaud et l'onde par Verlaine doivent
communier dans une sorte de fusion, c'est la mer allée avec le
soleil, l'union de l'eau, l'onde, Verlaine et du feu, de l'énergie
de Rimbaud qu'il s'agit de pérenniser. Cette union de l'eau et
du feu, ce n'est pas une union d'extinction, de mort, mais une union de
mouvement, de force avec la puissance de la vapeur, qui conduira les deux
amants ensuite à travers la Belgique et l'Angleterre. Rimbaud veut
convaincre son ami et lui rappelle les moments d'amour passés sous
leur toit "Puisque de vous seules, / Braises de satin, / Le Devoir
s'exhale / Sans qu'on dise : enfin. ", est une allusion à peine
déguisée à des plaisirs amoureux intenses dans des
draps de soie que l'on souhaite ne pas voir s'interrompre mais renouvelés
pour une période sans fin, une éternité. Là
où se trouve Verlaine, aujourd'hui auprès de son épouse,
nul orietur, pas d'espérance, aucune aube ne se lèvera,
un morne destin, un travail patient, un véritable supplice, le
contraire de qu'il peut connaître avec Rimbaud. Le là qui
désigne l'endroit où vit Verlaine placé en début
de quatrain a une forte connotation péjorative. Le message est
clair, Verlaine doit briser le fil qui le retient "là"
qui s'appelle Mathilde et voler vers Ribaud selon...les points de suspension
substitués au point dans le texte d'une saison en Enfer ajoute
encore à l'ambiguïté. Selon qui ou selon quoi ? selon
Mathilde ou selon Rimbaud. Rimbaud comme son compagnon Verlaine ont fréquemment voulu dissiper
leur moi dans l'indétermination. On sait l'importance du vol dans
la poésie, de cette fluidité ténue de l'impair verlainien
dans lequel les assonances, les allitérations glissent les unes
sur les autres dans un effacement quasi total du narratif, des structures
discursives. Les mots de ce poème mer, murmure, ailé, âme,
nuit, vol satin sont des mots vagues qui flottent ou apparaissent volontairement
flous. Rimbaud, en bon élève, reprend à son compte
la technique Verlainienne pour le sensibiliser d'avantage à sa
condition et obtenir son retour. Rimbaud fera même indirectement
référence à Baudelaire, comme une sorte de médiateur,
avec ses correspondances en attribuant comme un parfum " au devoir
qui s'exhale". Dans ce poème toute forme fixe a disparu comme
le sel ou le soleil qui se sont dissout dans la mer. La plupart des éléments,
éternité, suffrages, élans sont abstraits et renvoie
à l'imaginaire. Tout dans ce poème est imprécis,
incertitude, il s'agit d'exsuder des latences, d'exhaler le devoir, c'est
selon...et de prolonger le texte dans l'imaginaire et la mémoire.
Conclusion
Rimbaud qui vient d'être mis à la porte par Mathilde de leur domicile n'abdique pas et tente désormais de convaincre Verlaine de quitter sa jeune épouse pour lui. Il réussira. C'est avec une poésie fluide, elliptique, toute en imprécisions et incertitudes que notre jeune poète arrivera à ses fins.
Vocabulaire
Pentasyllabe
Se dit d'un vers qui a 5 syllabes
Elle/est/re/trou/vée
Pas/ d'o/ri/e/tur
avec diérèse sur le e. Les vers impairs seraient pour Verlaine plus musicaux.
Orietur
Il se lèvera (orior, se lever, que l'on retrouve dans orient, là
où le soleil se lève).
Orietur stella, il se lèvera une étoile.
Nul orietur, il ne se lèvera rien, il ne se passera rien. Pas d'aube.
C'est un futur, or tout futur perd sa signification si le temps est aboli (par la mort par exemple).
Les rimes
retrouvé, éternité, allée, la rime est sur
la dernière voyelle tonique, le é, c'est une rime pauvre.
autre exemple de rime pauvre, partie et toupie, rime sur le i
Rimes masculines et féminines croisées
Les rimes du poèmes sont des rimes croisées, ABAB à ne pas confondre avec les rimes plates AABB ou embrassées ABBA.
Les rimes féminines se terminent par un e muet. sentinelle est une rime féminine, aveu est une rime masculine.
Éternité
Durée sans commencement ni fin, durée sans fin, éternel, immuable ou temps très long.
Mai 1972
Rimbaud est brouillé avec Verlaine et vit à Paris où il occupe divers domiciles et compose de nouveaux poèmes. Le 7 juillet Verlaine et Rimbaud quitteront Paris pour la Belgique puis le 4 septembre ils s'installeront à Londres.
La liste des poèmes des "Derniers vers" qui suivent "Poésies"
Qu'est-ce que pour nous, mon coeur, que les nappes de sang...
Larme (mai 1872)
La rivière de Cassis
Comédie de la soif
1. Les parents
2. L'esprit
3. Les amis
4. Le pauvre songe
5. Conclusion
Bonne pensée du matin
Fêtes de la patience
1.Bannière de mai
2. Chanson de la plus hauite tour
3.Eternité
4 Age d'or
Jeune ménage
Plates-bandes d'amarantes...
Est-elle aimée ? ...aux premières heures bleues...
Fêtes de la faim
Entends comme brame...
Michel et Christine
Honte
Mémoire
Ôn saisons, ô châteaux...
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