26/03/2023
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RIMBAUD : Les réparties de Nina (15 août 1870) Poésies


Image de la campagne

Poème : Les réparties de Nina

" Les répartie de Nina " est le 9ème poème sur 15 du 1er Cahier de Douai.


On retiendra la réplique célèbre de "Nina", "et mon bureau"

Lui - Ta poitrine sur ma poitrine,
     Hein ? nous irions,
Ayant de l'air plein la narine,
     Aux frais rayons

Du bon matin bleu, qui vous baigne
     Du vin de jour ?...
Quand tout le bois frissonnant saigne
     Muet d'amour

De chaque branche, gouttes vertes,
     Des bourgeons clairs,
On sent dans les choses ouvertes
     Frémir des chairs :

Tu plongerais dans la luzerne
     Ton blanc peignoir,
Rosant à l'air ce bleu qui cerne
     Ton grand oeil noir,

Amoureuse de la campagne,
     Semant partout,
Comme une mousse de champagne,
     Ton rire fou :

Riant à moi, brutal d'ivresse,
     Qui te prendrais
Comme cela, - la belle tresse,
     Oh ! - qui boirais

Ton goût de framboise et de fraise,
     O chair de fleur !
Riant au vent vif qui te baise
     Comme un voleur,

Au rose églantier qui t'embête
     Aimablement:
Riant surtout, ô folle tête,
     A ton amant !....
-------------------------

- Ta poitrine sur ma poitrine,
     Mêlant nos voix
Lents, nous gagnerions la ravine,
     Puis les grands bois !...

Puis, comme une petite morte,
     Le cœur pâmé,
Tu me dirais que je te porte,
     L'œil mi fermé...

Je te porterais, palpitante,
     Dans le sentier :
L'oiseau filerait son andante :
     Au Noisetier...

Je te parlerais dans ta bouche:
     J'irais, pressant
Ton corps, comme une enfant qu'on couche,
     Ivre du sang

Qui coule, bleu, sous ta peau blanche
     Aux tons rosés:
Et te parlant la langue franche...
     Tiens !... - que tu sais...

Nos grands bois sentiraient la sève
     Et le soleil
Sablerait d'or fin leur grand rêve
     Vert et vermeil.
-------------------------

Le soir ?... Nous reprendrons la route
     Blanche qui court
Flânant, comme un troupeau qui broute,
     Tout à l'entour

Les bons vergers à l'herbe bleue
     Aux pommiers tors !
Comme on les sent tout une lieue
     Leurs parfums forts !

Nous regagnerons le village
     Au ciel mi-noir ;
Et ça sentira le laitage
     Dans l'air du soir ;

Ça sentira l'étable, pleine
     De fumiers chauds,
Pleine d'un lent rhythme d'haleine,
     Et de grands dos

Blanchissant sous quelque lumière ;
     Et, tout là-bas,
Une vache fientera, fière,
     À chaque pas...

- Les lunettes de la grand'mère
     Et son nez long
Dans son missel : le pot de bière
     - Cerclé de plomb,

Moussant entre les larges pipes
     Qui, crânement,
Fument: les effroyables lippes
     Qui, tout fumant,

Happent le jambon aux fourchettes
     Tant, tant et plus :
Le feu qui claire les couchettes
     Et les bahuts.

Les fesses luisantes et grasses
     D'un gros enfant
Qui fourre, à genoux, dans les tasses,
     Son museau blanc

Frôlé par un mufle qui gronde
     D'un ton gentil,
Et pourlèche la face ronde
     Du cher petit.....

Que de choses verrons-nous, chère,
     Dans ces taudis,
Quand la flamme illumine, claire
     Les carreaux gris !...

- Puis, petite et toute nichée
     Dans les lilas
Noirs et frais : la vitre cachée,
     Qui rit là-bas....

Tu viendras, tu viendras, je t'aime !
     Ce sera beau.
Tu viendras, n'est-ce pas, et même...

Elle. - Et mon bureau ?

LE CAHIER DE DOUAI
1er cahier
1- Première soirée
2-Sensation
3-Le forgeron
4-Soleil et chair
5-Ophélie
6-Bal des pendus
7-Le Châtiment de Tartuffe
8-Vénus anadyomène

9-Les réparties de Nina
10-A la musique
11-Les effarés
12-Roman
13-« Morts de Quatre-vingt-douze »
14-Le mal
15-Rages de Césars

2ème cahier
16-Rêvé pour l'hiver
17-Le dormeur du Val
18-Au cabaret-vert
19-La Maline
20-L'éclatante victoire de Sarrebrück
21-Le buffet

22-Ma Bohème (Fantaisie)

Plan
1-Sottise ou stupidité dans la jeune fille qu'on désire
2-Une mauvaise expérience avec Nina
3-La désespérance de Rimbaud

Commentaire rédigé
Préalablement intitulée "Ce qui retient Nina", le poème "Les réparties de Nina" est un poème qui conte, sur un air frivole, une promenade amoureuse imaginaire, au conditionnel, au milieu de la campagne avec Nina, une jeune fille fictive. Ce 9ème poème du cahier de Douai de vingt-sept quatrains et un tercet écrit alors qu'il n'a pas encore 16 ans (né le 20 octobre 1854) relate les premières aventures amoureuses du poète dans sa campagne des Ardennes. Notre jeune poème a les sensations que ressentent fréquemment les jeunes gens à cet âge, la quête d'un premier amour, le bonheur dans la nature, les promenades bucoliques et romantiques. Il s'agit d'un poème de 25 quatrains hétérométriques avec alternance d'octosyllabes et de tétrasyllabes, de vers pairs puis un dernier tercet détaché ou collé au dernier quatrain et enfin un dernier vers de trois mots, la réponse de Nina, "Et mon bureau", complétant le tercet précédent. La structure d'octosyllabe complétée par le tétrasyllabe donne une structure boiteuse d'alexandrins au poème. Notre jeune poète essaie ici, par des envolée lyriques, de convaincre une amoureuse fictive, Nina, une citadine, une employée de bureau, de venir le retrouver dans sa ferme et de partager un moment d'intimité chez lui, à la campagne. La fin du poème après une invitation insistante par la répétition de "Tu viendras", se termine par un immense doute appuyé par un jeu de mot entre "et m'aime", et "et même...".

1-Sottise ou stupidité de la jeune fille qu'on désire
Dans "les réparties de Nina" on note un décalage entre l'homme lyrique (tout le poème) et la femme beaucoup plus prosaïque (3 mots en répartie "et mon bureau" ?), expliquant son échec amoureux. Ses illusions, son avatar féminin commencé par "les réparties de Nina" prendront cruellement fin dans "mes petites amoureuses", "Ô mes petites amoureuses, Que je vous hais !"...
L'année suivante en 1871, Rimbaud professera le plus grand mépris pour les
élans lyriques des romantiques, la rencontre amoureuse et bucolique dans la nature. Rimbaud se moque de la description lyrique des romantiques qui affectionnent les natures grandioses. Ici le cadre est banal fait d'une campagne ordinaire de vergers des Ardennes, avec le village, les fermes avec leurs étables emplies de fumier, les vaches qui fientent fièrement, la grand-mère accompagnée de son missel, les hommes qui boivent et fument, le feu qui brûle dans la cheminée et qui éclaire la maison, les familles nombreuses, des taudis, mais une image de bonheur en famille que seul permet l'amour.Car c'est bien au conditionnel que commence le poème, si... nous nous aimons, l'un contre l'autre, poitrine contre poitrine, tout sera beau dans cette nature avec les aromes de fraise et de framboise, les odeurs de fruits des vergers. Mais cela demande aussi beaucoup d'imagination, marquée par la multiplicité des points de suspension, que semble ne pas posséder l'interlocutrice qui ne pense qu'à ses activités professionnelles, à son bureau, à son travail d'employée.

II-Une mauvaise expérience amoureuse avec Nina
Pour présenter un paysage de désir, Rimbaud ouvre fréquemment ses poèmes avec un octosyllabe. "J'ai embrassé l'aube d'été, premier vers de "Aube" des "Illuminations" suggère la métaphore amoureuse. Féconde belle et sensuelle, la nature séduit le poète comme elle devrait séduire Nina "Amoureuse de la campagne, semant partout, comme une mousse de champagne, ton rire fou". La nature incite par communion à l'amour "de chaque branche, de chaque bourgeon, on sent frémir les chairs". La nature participe à l'éclosion et à un vertige des sens, elle rend joyeux "Riant au vent vif qui te baise", elle est capricieuse "Au rose églantier qui t'embête", elle rend ivre "brutal d'ivresse". Son lyrisme, est un épanchement en compagnie de sa muse, Nina, devant les vibrations de la nature. Dans le frémissement d'un contact "poitrine sur ma poitrine", le poète-bohémien, au coeur de la nature, entend en lui la montée de l'amour comme la sève monte dans l'arbre et attend de l'autre le même frisson du désir, "Je te porterai, palpitante". Mais cette impression est finalement déçue par la stupidité de Nina qui ne contemple pas le spectacle plein de vie, de sensualité de la nature en éveil et ne pense qu'à son travail au bureau.

III-La désespérance de Rimbaud
Rimbaud bohémien retourne son ironie contre lui dans ses aventures amoureuses. Après le départ seul et rêvé du court poème "Sensation" par un soir bleu d'été où il se retrouvait comme ici dans l'herbe, sur les sentiers, avec le vent cher aux romantiques, "heureux comme avec une femme", et l'amour infini lui montant dans l'âme, on retrouve ici notre bohémien accompagné de Nina. Rimbaud reprend ici le thème de "Sensation" pour savoir s'il est aussi heureux devant la nature qu'il peut l'être avec une femme. A la première personne du singulier, "J'irai par les sentiers" de "Sensation", s'est substituée la première personne du pluriel, "Nous regagnerons le village". A l'assurance du futur "J'irai" du premier vers de "Sensation" succède l'incertitude du conditionnel dans cette union, dès les deux premiers vers "Ta poitrine sur ma poitrine, hein ? Nous irions". Seul l'emportement amoureux, l'audace, l'insolence, peut transformer ce conditionnel en certitude, "Tu seras heureuse"'. La journée terminée, que le soir arrive et que l'on doit rentrer, le voyage imaginaire se poursuit dans les fermes où sent bon le fumier chaud, où fientent fièrement les vaches, et dans les maisons, les fermes, les taudis, où vivent de nombreux enfants en harmonie. Par l'amour, c'est une vision transfigurée, idyllique des taudis, des fermes qui nous est donnée et qui est très loin de toute réalité. Il y a cependant beaucoup d'ironie dans le nez long de la grand-mère avec son missel, les fesses luisantes et grasses des enfants qui sont gros, qui ont un museau, le chien qui lèche l'enfant comme pour le nettoyer, les carreaux petits, sales et gris des fenêtres noyées par la verdure.

Conclusion
Dans ce long poème qui est comme un complément au poème "Sensation" pointe déjà toute l'audace, l'insolence, l'ironie, de Rimbaud envers les jeunes filles de son âge, les habitants des villes comme ceux des campagnes. Sur un air frivole, le jeune poète de 16 ans qui veut découvrir l'amour en invitant une jeune fille à venir chez lui, fait l'éloge de la vie à vie à la campagne, dans les fermes ou sent bon le lait chaud. Hélas pour lui, son interlocutrice est beaucoup moins romantique et prosaiquement en quelques mots rejette son attendrissante et puérile invitation.

Complément :
L'avant dernier vers du poème est :
-Tu viendras, n'est-ce pas, et même...
Essayez d'imaginer la suite...de trouver d'autres arguments pour faire venir de son plein gré une jeune fille, d'un autre milieu social, qui ne partage peut-être pas avec vous les mêmes valeurs, en dehors de la contrainte bien évidemment.

Vocabulaire

Analyse
Poésie pastorale ou bucolique

Genre poétique dont l’objet est de représenter la vie champêtre et les mœurs des bergers, soit d’après la nature, soit d’après des idées et des images de convention.

Strophe et quatrain

Quatrain

Groupement de quatre vers.

Strophe
Groupement identique de vers revenant à rythme régulier.
Lui- Ta poitrine sur ma poitrine (8)
Hein ? nous irions (4)
peut constituer une strophe, un alexandrin (12) boiteux que hache le tétrasyllabe.


Particularités du poème
1-Remarquer le conditionnel des verbes dans la première partie, nous gagnerions, tu me dirais, je te porterais, je te parlerais et le présent des verbes à la seconde partie, nous reprendrons, nous regagnerons, tu viendras.
Il y a un verbe au futur, celui de la déception
2-Remarquer le dialogue dissymétrique entre lui, la quasi totalité du poème, et elle, un seul vers, le dernier. Il y a plusieurs tirets pour marquer des temps de repos et des changements d'idées.
3-Présence de nombreux points de suspension, A ton amant..., Puis les grands bois..., Au noisetier...la langue franche..., l'oeil mi-fermé...à chaque pas..., du cher petit...qui attendent une réponse ou provoque l'imagination de la jeune fille.
Variantes
"Les Réparties de Nina", publiées" sont une variante du poème "Ce que retient Nina". Une strophe a été supprimée après
A ton amant !... (8ème q.)
Dix-sept ans ! Tu seras heureuse !
Oh ! Les grands prés
La grande campagne amoureuse !
-Dis viens plus près !... (Une précédente avait déjà été retirée par rapport au manuscrit Izambard)
Une strophe nouvelle, la seizième, a été introduite,
Les bons vergers à l'herbe bleue
Aux pommiers tors !
Comme on les sent tout une lieue
Leurs parfums forts !
Il y a de nombreuses variantes de détail, et une fort importante: après une ligne de points, au v. 57,
Le soir ?... Nous reprendrons la route, le futur l'emporte sur le conditionnel, et tout se passe, cette fois, comme si, "Lui", s'était laissé prendre au piège du rêve d'amour ou de ses déclarations enflammées


Vocabulaire

Narine
Nez

Luzerne
Herbe des prés

Te baise
T'embrasse

Ravine
Cours d'eau qui descend des collines

Pâmé
Extrêmement ému

Andante
Air de musique
Ecoutez le poème

 

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