26/03/2023
Rimbaud expliqué Poésies
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RIMBAUD : Rages des Césars (postérieur à Sept 1870) Poésies

 

Napoléon III

Napoléon III et Bismarck au château de Whilhelmsöhe à Kassel en Allemagne.

Poème : Rage des césars

Note d'un connaisseur : Il ne s'agirait pas l’entrevue de Napoléon III et Bismarck, au château de Wilhelmshöhe, mais plus prosaïquement à la « maison du tisserand » à Donchery, localité proche de Sedan.  Ce n’est que le lendemain que sera signée la réddition, au château de Bellevue, au Fresnois, faubourg sedanais. Ce n’est que le 5 septembre que l’empereur arrivera à Cassel/Kassel où il restera jusqu’au 19 mars 1871, puis partira en exil vers l’Angleterre. Wilhemshöhe (la hauteur/butte de Guillaume) s’est temporairement appelée « Napoléonshöhe » pendant la présence de Jérôme Bonaparte.

Poème : Rages des Césars

"Rages des césars" est le 15ème et dernier poème du 1er cahier de Douai.

Il est suivi d'une dédicace "A...Elle, ce n'est pas la liberté mais à sa mère qu'il adresse son poème. Cela rappelle les poèmes de Verlaine dont il ne fera la rencontre à Paris en septembre 1871

L'Homme pâle, le long des pelouses fleuries,
Chemine, en habit noir, et le cigare aux dents :

L'Homme pâle repense aux fleurs des Tuileries
- Et parfois son oeil terne a des regards ardents...

Car l'Empereur est soûl de ses vingt ans d'orgie !
Il s'était dit : "Je vais souffler la Liberté
Bien délicatement, ainsi qu'une bougie ! "
La liberté revit ! Il se sent éreinté ! Il est pris.

- Oh ! quel nom sur ses lèvres muettes
Tressaille ? Quel regret implacable le mord ?
On ne le saura pas. L'Empereur a l'oeil mort.

Il repense peut-être au Compère en lunettes...
- Et regarde filer de son cigare en feu,
Comme aux soirs de Saint-Cloud, un fin nuage bleu.

LE CAHIER DE DOUAI
1er cahier
1- Première soirée
2-Sensation
3-Le forgeron
4-Soleil et chair
5-Ophélie
6-Bal des pendus
7-Le Châtiment de Tartuffe
8-Vénus anadyomène
9-Les réparties de Nina
10-A la musique
11-Les effarés
12-Roman
13-« Morts de Quatre-vingt-douze »
14-Le mal

15-Rages de Césars
2ème cahier
16-Rêvé pour l'hiver
17-Le dormeur du Val
18-Au cabaret-vert
19-La Maline
20-L'éclatante victoire de Sarrebrück
21-Le buffet
22-Ma Bohème (Fantaisie)

Plan
1-Un hymne à la liberté
2-Une argumentation ad hominum
3-La condamnation de toute tyrannie


Commentaire rédigé

Ce poème "rages des Césars" avec un double pluriel est le 14ème et dernier poème du 1er cahier de Douai. Il a la forme d'un sonnet, deux quatrains suivis de deux tercets en alexandrins. Il n'est pas daté, comme la plupart des poèmes de Rimbaud dont on ne connaît que des copies. Si ce poème a probablement été commencé après la défaite de Sedan du 1er septembre 1870, lors de son premier et court séjour chez les demoiselles Gimbre, tantes de son professeur de lettres Izambard, la dédicace chère à Verlaine en fin de poème laisse à penser qu'il a été repris après leur rencontre de septembre 71. Forme contraignante, le sonnet oppose généralement les tercets aux quatrains.

1-Un hymne à la liberté.
Le Rimbaud frondeur, engagé, acquis aux idées républicaines, aux idéaux de liberté de 1789, déjà perceptible dans ses premiers poèmes "Le forgeron", "Morts de Quatre-vingt-douze", "Le Mal" se confirme ici dans un portrait au vitriol de Napoléon III. Ce souverain monarchique qui règne sur la France depuis près de 20 ans est affaibli, malade de calcul dans la vessie. Fait prisonnier sur le champ de bataille de Sedan à la tête de ses hommes, il apprend sa destitution au château de Wilhelmstrohe à Kassel en Allemagne où il sera retenu prisonnier quelques mois. On voit dans ce portrait l'image d'un tyran, ayant gouverné seul, et qui réfléchit amèrement sur la guerre perdue et la fin de son pouvoir. Rien n'indiquait au départ chez cet homme un instinct despotique pour le pouvoir solitaire, l'élimination des républicains, il est élu député puis président de la République et lorsqu'en 1852 il se proclamera empereur, il se fait plébisciter par le peuple. Rimbaud attaque ici un homme malade qui mourra deux ans plus tard, un homme pâle qui pense aux fleurs des Tuileries et qui pensait à souffler la liberté comme une bougie. Napoléon III fait partie des rares souverains fait prisonniers sur un champ de bataille en stigmatisant ses troupes, il s'apprêtait à écrire une histoire de César. Notre souverain se promène a pied en habit noir d'apparat, il, il fume son cigare. C'est un homme épuisé par la vie, par les fêtes luxueuses données aux Tuileries. Mais ne dissimule-t-il pas, par dignité, ses réelles pensées. Il a des regrets mais ne les laisse pas voir. Rimbaud suit les traces de Victor Hugo pour dénoncer un homme qui, cependant, accorda le droit de grève aux ouvriers, fut méprisé et est ici dénoncé par Rimbaud comme un despote.

2-Une argumentation ad hominem
Rimbaud reprend ici une partie des accusations portées à Napoléon III par Victor Hugo, d'un personnage apathique, sans expression, sans vie, "il a l'oeil terne, l'œil mort, d'une sorte de pantin qui marche machinalement "il chemine" avec un goût de l'apparat "en habit noir", "fume le cigare". Rimbaud tient ici une argumentation ad hominem, c'est à dire qu'il s'attaque à l'homme pour dénoncer ses actes politiques. Ce qu'on lui reproche, c'est d'avoir aboli les valeurs de la République pour mettre sur pied un Empire, où le pouvoir est quasi-absolu. Dès notre empereur vaincu, les républicains défenseur des libertés reviendront au pouvoir, c'est la liberté qui revit après 20 ans. L' attitude figée, sans expression, qu'on en donne est souvent, en politique, une force immense, pour contenir ses émotions, ne pas exposer son intimité, ses faiblesses, ce sont parfois des atouts importants que l'on assimile à du mépris. Napoléon III mesure combien il a été imprudent et maladroit de déclarer cette guerre pour se retrouver prisonnier, il cherche un responsable, ce n'est pas lui, c'est son Ministre Émile Ollivier qui avait toute sa sympathie et qui a fait la déclaration de guerre, il se cache derrière ses lunettes. Étrange personnage que ce Marseillais qui affirmait qu'il y avait péril si la révolution s'unissait à la liberté et qu'il était sage de les opposer l'un à l'autre, de vaincre le premier par le second. De tels propos ne pouvaient recevoir un écho favorable chez notre adolescent turbulent. Désormais le cigare de Napoléon III se consume lentement, comme autrefois dans les splendeurs de Saint-Cloud.

3-La condamnation de toute tyrannie

La tyrannie n'a pas la même signification pour chacun. A 16 ans, pour Rimbaud, la tyrannie c'est celle de sa mère qui doit le remettre en pension en janvier 71 et qui essaie de le retenir captif. Il écrit à Izambard qu'il se décompose dans la platitude, la mauvaiseté, la grisaille car il s'entête à adorer la liberté libre. Rimbaud enrage de rester chez sa mère à Charleville, la rage de l'empereur déchu est un peu la sienne. Il espérait des bains de soleil, des promenades infinies, des bohémienneries et il se contente de voir pérégriner dans les rues, les soldats, les piou-pious et gesticuler une benoîte population patrouillotiste, le Chassepot au cœur. Sa patrie se lève, il souhaite la voir assise. En cet automne 1870 cette guerre le contrarie, les journaux parisiens, les livres ne circulent plus, il en est réduit à lire le "Courrier des Ardennes", comment va-t-il faire pour se faire connaître ? Décidément Napoléon III méritait bien ce coup de griffe. Mais la dédicace finale A...Elle, prend tout son sens, on peut bien évidemment penser à la liberté, mais c'est probablement à sa mère, celle qui l'opprime, qui le tyrannise à qui il l'adresse. Tous les tyrans comme tous les césars n'appartiennent pas au monde politique.

Conclusion

"Rage de Césars" nous présente un portrait de Napoléon III amorphe, mais à travers ce dernier monarque français c'est à ses idées d'un pouvoir absolu, sans opposition, qu'on s'attaque. Les idées républicaines, de liberté issues de 1789 ont été supprimées par cette forme de pouvoir solitaire. Mais à travers ce personnage Rimbaud défend également sa liberté, victime de l'oppression de sa mère qui restreint ses déplacements, victime de la guerre qui gène ses déplacements et paralyse le pays au moment ou sa renommée de poète ne peut pas ne pas arriver.

Vocabulaire

Rage
Colère, dépit au plus haut degré mais aussi volonté farouche et passionnée, résolution inflexible, rage de vaincre, rage de survivre.

César
Empereur romain, despote

Despote
Souverain qui exerce un pouvoir arbitraire et absolu.

Pâle
Blême, d'une blancheur sans éclat.

Cheminer
Faire du chemin, aller à pied.

20 ans d'orgies

Napoléon III est resté au pourvoir 18 ans de 1852 à 1870. Les orgies sont des fêtes luxueuses. A l'"empire autoritaire" succédera en 1860 "l'empire libéral".

Les Tuileries
Le palais des Tuileries entre le Louvre et Les Champs Elysées à Paris fut la demeure de tous les souverains à partir de l'Empire. Les bâtiments seront incendiés pendant la commune en 1871.


Saint-Cloud
Autre résidence royale.

Chronologie des événements

19/7/1870
Déclaration de guerre à La Prusse
28/7/1870
Napoléon III à Metz
2/8/1870
Victoire française de Sarrebruck
6/8/1870
Défaites de Reichshoffen et de Forbach. Reprise de Sarrebrück par les Prussiens.
28/8/1870 Départ du prince impérial pour Sedan
29/8/1890
1ère fugue de Rimbaud
1/9/1870
Défaite de Sedan. Napoléon III est emmené prisonnier par les Prussiens au château de Whilhelmsöhe à Kassel en Allemagne.
3/9/1870
Écriture de "Morts de Quatre-vingt-douze
6/9/1870

Rimbaud chez les sœurs Gindre
6/10/1870
2ème fugue
.


Rimbaud en août 1870 avant d'écrire son recueil "Poésies, fin 1890-année 1871


Rimbaud est né le 8 décembre 1854. Il a 17 ans et obtient le prix d'excellence, le premier prix de discours latin, de discours français, de vers latins, de version latine, de version grecque. Il refuse de s'associer à une souscription patriotique lancée par les élèves de sa classe pour envoyer l'argent à l'armée française.

La défaite française d'une guerre déclarée à la Prusse par Napoléon III le 19 juillet 1870

Napoléon III déclare la guerre au roi de Prusse le 19 juillet 1870 d'une façon pour le moins maladroite et précipitée. Il ne prend pas la peine de s'assurer le soutien des États rivaux de la Prusse ni de vérifier les dispositions de l'armée. Le chancelier prussien Otto von Bismarck voit immédiatement dans cette déclaration de guerre l'occasion de faire l'unité de l'Allemagne autour de la Prusse et de son roi, Guillaume 1er de Hohenzollern. La France n'est en mesure de mobiliser que 250.000 hommes. De leur côté, la Prusse et ses alliés allemands en alignent immédiatement 600.000 grâce à une organisation bien rodée et à un réseau ferroviaire très dense. Les armées impériales sont très vite bousculées par la coalition des armées allemandes unies autour de la Prusse. Les Français subissent plusieurs défaites non dépourvues de panache comme à Wissembourg, le 4 août 1870, et surtout à Frœschwiller-Wœrth, le 6 août. Ce jour-là, à deux reprises, près du village de Reichshoffen, les cuirassiers à cheval chargent sabre au clair dans les houblonnières. Empêtrés dans les piquets et les fils, hommes et chevaux se font absurdement massacrer. À la suite de ces défaites, la première armée française se regroupe au camp de Châlons sous le commandement du maréchal de Mac-Mahon. L'empereur l'accompagne mais, très malade en raison d'un caillou dans la vessie et pouvant à peine circuler en voiture, il se garde de diriger les opérations.


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