
Réunion amoureuse
Poème :
Première soirée
" Première soirée " est le 1er
texte du 1er Cahier de Douai qui finit par "Rage des Césars".
- Elle était fort déshabillée
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres jetaient leur feuillée
Malinement, tout près, tout près.
Assise sur ma grande chaise,
Mi-nue, elle joignait les mains.
Sur le plancher frissonnaient d'aise
Ses petits pieds si fins, si fins.
- Je regardai, couleur de cire,
Un petit rayon buissonnier
Papillonner dans son sourire
Et sur son sein, - mouche au rosier.
- Je baisai ses fines chevilles.
Elle eut un doux rire brutal
Qui s'égrenait en claires trilles,
Un joli rire de cristal.
Les petits pieds sous la chemise
Se sauvèrent : " Veux-tu finir ! "
- La première audace permise,
Le rire feignait de punir !
- Pauvrets palpitants sous ma lèvre,
Je baisai doucement ses yeux :
- Elle jeta sa tête mièvre
En arrière : " Oh ! c'est encor mieux !...
Monsieur, j'ai deux mots à te dire... "
- Je lui jetai le reste au sein
Dans un baiser, qui la fit rire
D'un bon rire qui voulait bien...
- Elle était fort déshabillée
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres jetaient leur feuillée
Malinement, tout près, tout près. |
LE CAHIER DE DOUAI
1er cahier
1- Première soirée
2-Sensation
3-Le forgeron
4-Soleil et chair
5-Ophélie
6-Bal des pendus
7-Le Châtiment de Tartuffe
8-Vénus anadyomène
9-Les réparties de Nina
10-A la musique
11-Les effarés
12-Roman
13-« Morts de Quatre-vingt-douze »
14-Le mal
15-Rages de Césars
2ème cahier
16-Rêvé pour l'hiver
17-Le dormeur du Val
18-Au cabaret-vert
19-La Maline
20-L'éclatante victoire de Sarrebrück
21-Le buffet
22-Ma Bohème (Fantaisie)
Plan
1 Une bien être amoureux
Un adolescent courtisan
Des réactions affectueuses
Une critique des vénus parnassiennes
2 Une déception sentimentale ironique
La résistance aux élans amoureux printaniers
Des amours à distance
Le jeu amoureux de la jeune fille, la grâce affectée
Commentaire rédigé
1 Un bien être amoureux
Ce poème en octosyllabes constitue le premier
poème du cahier de Douai. Ce poème ne fut jamais publié
du vivant de Rimbaud. On y découvre un Rimbaud terriblement maladroit avec les adolescentes de son âge. Parmi les 22
poèmes du recueil, il est indiscutable que sous des formes très
diverses, presque le quart des pièces se ramène
à la femme (Vénus Anadyomène, Les réparties
de Nina, Roman). On remarque que ce poème de huit quatrains se termine par le premier quatrain qui est repris donnant
l'impression d'une boucle, d'un épisode qui revient à son
point de départ. On constateégalement de nombreux
tirets, signes de ponctuation qui d'ordinaire dans les pièces
de théâtre, indiquent les changements d'interlocuteurs ou
dans un texte remplace les parenthèses, l'un au début du
1er quatrain, un autre au 3ème et au quatrième puis au milieu
des 5ème, 6ème, 7ème et enfin un tiret au début
du dernier quatrain. Ces tirets, dont l'un au début du texte, qui
indiqueraient ici plutôt une parenthèse,
une interruption dans la continuitésyntaxique sont étrangement
placés. Ces signes marquent plutôt la discontinuité dans l'action détaillée du poète. Ecrit à
l'âge de 16 ans, à un âge où l'on est n'est
guère sérieux, ce poème marque cependant
à quelques nuances près un certain bien être dans la compagnie féminine. La femme
que notre poète cherche à séduire est assez jeune, elle est assise sur une chaise à moitié-nue ou plutôt habillée légèrement. La suite de
l'aventure se termine par un "qui voulait bien...."
dans laquelle les points de suspension sont placés pour laisser
le lecteur dans le doute. Le dernier quatrain reprenant
le premier et nous ramenant au point de départ laisse penser que la liaison fut un échec mais
que notre auteur aura au moins eu le mérite d'essayer. Rimbaud
reprend également dans ce poème ses thèmes favoris
du sein-refuge et de la fleur-immondice.
Dans son image du sein, "mouche au rosier",
l'allusion au sein a une valeur affective, c'est l'enfant privé
de tendresse qui se sent symboliquement sevré. Ce sein qui le fascine dans les premiers textes et particulièrement dans
ce poème sera ensuite rejeté et tourné en dérision,
avec l'emploi des mots mamelle, téton. L'insolite
"mouche au rosier" donne à cette fleur une connotation
de putréfaction confirmant l'assimilation de la
fleur à la chair. On retrouve également
dans le qualificatif mi-nue de la jeune fille le transfert à la
nature de toutes les frustrations maternelles et désillusions sentimentales
de notre auteur lorsqu'il parle de la terre à demi-nue.
2-Une déception sentimentale ironique
On retrouve
un peu ici la "demoiselle aux petits airs charmants" de "Roman"
et celle "Des réparties des Nina" qui écarte d'une
phrase laconique "Et mon bureau" les propositions
lyriques du poète. D'abord
cette demoiselle a le droit à quelques privilèges,
elle peut s'asseoir sur sa chaise, pas n'importe quelle
chaise, la sienne. On observe une multitude d'adjectifs possessifs,
ce sont ses pieds, son sourire, ma bouche mais ce ne sont pas ses pieds
qui se retirent lorsqu'ils refusent le baiser mais les petits pieds, ce ne seraient donc pas les siens, car ceux là
sont petits. Lorsque Rimbaud essuie le premier revers il abandonne les
adjectifs possessifs pour des articles définis,
le la. Il écorche souvent la demoiselle, elle
a "la tête mièvre", fade,
caractérisant une grâce affectée. La familiarité,
le tutoiement laisse penser que les personnages se connaissent
bien, toutefois, l'emploi de Monsieur qui indique d'ordinaire
une appellation respectueuse donne à la déclaration de la
demoiselle une solennité qui ajoute à l'ironie.
L'ironie de Rimbaud vient certainement de sa déception devant la
résistance de sa partenaire. Il croyait pouvoir parvenir à
ses fins rapidement, c'est un échec, une désillusion.
Conclusion
"Première soirée " premier poème amoureux écrit par Rimbaud à l'âge de 16 ans retrace assez fidèlement les maladresses des adolescents dans leurs envolées amoureuses parmi les effluves printaniers. Rimbaud conservera ensuite de ses premières expériences amoureuses d'adolescentes, assez réduites, se résumant généralement à un déshabillage à distance, un profond mépris pour ses "petites amoureuses" .
Vocabulaire
Maline :
Forme populaire de maligne, que l'on retrouve dans un autre poème.
Trille :
Bévue ou licence poétique, trille étant du masculin.
Papillonner :
Etre agité d'un mouvement
rapide évoquant les ailes d'un papillon, et par extension passer
constamment d'une chose à une autre. On constate dans la situation,
les effets de la lumière du soleil sur une "rouge" à
lèvres plutôt brun (cire), il s'agit d'un scintillement.
Le rayon lumineux éclaire aussi la poitrine de la jeune fille par
intermittence.
Buissonnier
Se promener, flaner au lieu d'aller en classe. Généralement adjectif d'école.
Effluves
Emanation qui s'exhale du corps des êtres vivants, des fleurs.
Douai
60000 hab, chef lieu d'arrondissement du Nord sur la Scarpe dans la banlieue
de Lens, à côté de Valenciennes, à 70 Km de Charleville.
Aujourd'hui Charleville-Mézières, chef lieu de département
des Ardenne sur la Meuse 60000 habitants. Rimbaud y naquit en 1854 (mort
à Marseille en 1891 à 37 ans).
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