
Fantassin
à Sedan en 1870, bleu, rouge et blanc, appuyé sur le chassepot,
ce sont les piou-pious, Pitou, Dumanet, Boquillon
Poème :
L'éclatante victoire de Sarrebruck
"L'inquiétante victoire de Sarrebruck"
remportée aux cris de vive l'empereur ! est le 5ème poème
sur 7 du 2ème cahier de Douai.
Le poème a la précision suivante "Gravure belge brillamment coloriée, se vend à Charleroi 35 centimes
Au milieu, l'Empereur, dans une apothéose
Bleue et jaune, s'en va, raide, sur son dada
Flamboyant ; très heureux, - car il voit tout en rose,
Féroce comme Zeus et doux comme un papa ;
En bas, les bons Pioupious qui faisaient la sieste
Près des tambours dorés et des rouges canons,
Se lèvent gentiment. Pitou remet sa veste,
Et, tourné vers le Chef, s'étourdit de grands noms !
A droite, Dumanet, appuyé sur la crosse
De son chassepot, sent frémir sa nuque en brosse,
Et : " Vive l'Empereur !!! " - Son voisin reste coi...
Un schako surgit, comme un soleil noir... - Au centre,
Boquillon rouge et bleu, très naïf, sur son ventre
Se dresse, et, - présentant ses derrières - : " De quoi ?... "
Octobre 70 |
LE CAHIER DE DOUAI
1er cahier
1- Première soirée
2-Sensation
3-Le forgeron
4-Soleil et chair
5-Ophélie
6-Bal des pendus
7-Le Châtiment de Tartuffe
8-Vénus anadyomène
9-Les réparties de Nina
10-A la musique
11-Les effarés
12-Roman
13-« Morts de Quatre-vingt-douze »
14-Le mal
15-Rages de Césars
2ème cahier
16-Rêvé pour l'hiver
17-Le dormeur du Val
18-Au cabaret-vert
19-La Maline
20-L'éclatante victoire de Sarrebrück
21-Le buffet
22-Ma Bohème (Fantaisie)
Napoléon III a un fils Louis, le prince impérial, il a 14 ans quand débute la guerre. Le 1er août, Louis accompagne son père à un conseil de guerre. Quelques jours après son arrivée au front, Louis, au comble de l'exaltation assiste à une bataille devant Sarrebruck au cours duquel il reçoit son baptême du feu. Un milliers de prussiens tenaient garnison à Sarrebruck, la première ville de l'autre coté de la frontière. Tous les soldats sont unanimes à saluer le courage et le sang froid du jeune garçon se jour-là. Napoléon III envoya un télégramme à l'Impératrice restée à Paris : " Deux août. Louis vient de recevoir le baptême du feu: il a été admirable de sang-froid, il n'a été nullement impressionné... Nous étions en première ligne et les balles et les boulets tombaient à nos pieds. Louis a conservé une balle qui est tombé auprès de lui." -Napoléon-
Il s'agit là d'un combat mineur. Mais la campagne se poursuit mal. De place en place, le jeune prince suit d'abord son père, de Metz à Gravelotte, de Chalons à Rethel. Le Prince avec ces différents changements, mange à peine, dort mal. Déjà, le 23 août à Reims, l'Empereur quitte le Prince Impérial. " Ne pleure pas, lui dit-il, nous nous retrouveront à Rethel. "Louis se raidit et refoule ses larmes. Puis le 27 août à Tourteron, où il se sépare à nouveau de l'Empereur qu'il ne reverra que vaincu en mars 1871. Cette humiliation de son père, Louis en gardera une trace indélébile. Comme les fastes de l'Empire sont loin.
Plan
1-La description d'une gravure satirique
2-Une visite surprise
3-Un feu d'artifice
Commentaire rédigé
Ce poème "L'éclatante victoire de Sarrebruck" est le 19ème poème du cahier de Douai. Il a la forme d'un sonnet, deux quatrains suivis de deux tercets en alexandrins.
Forme contraignante, le sonnet oppose généralement les tercets
aux quatrains. "L'éclatante
victoire de Sarrebruck" daté d'octobre 1870, porte en sous
titre : "Gravure belge brillamment coloriée, se vend à
Charleroi, 35 centimes." qu'il n'a pas été possible
de retrouver. Si la fin de la phrase vaut pour le sarcasme,
la première partie ancre bien le poème dans les arts visuels.
En effet, chaque strophe s'essaie à la description d'une partie de ce que l'on suppose être un tableau, la première
strophe décrit le milieu, la seconde, la partie inférieure,
le bas, la troisième le coté droit. Si un dessin d'époque
semble avoir servi de base à ce poème, nous allons essayer
de le reconstituer.
1-La description d'une gravure satirique
On assiste à la description par notre jeune poète
de 16 ans, d'une gravure qui se vend 35 centimes à
Charleroi ville proche de Charleville. Au milieu, l'Empereur juché sur son cheval accompagné de son fils et entouré de sa gare personnelle, les cent gardes par les couleurs bleues et jaunes de leur uniforme, les soldats, les piou-pious,
ont une capote bleue, un pantalon rouge et des guêtres blanches,
avec leur fusil flambant neuf, le Chassepot. L'empereur que l'on sait
malade de calcul dans la vessie a beaucoup de difficultés pour
marcher et se déplace donc à cheval. C'est
un homme malade, qui souffre, il est raide sur son cheval, son "dada".
Il est en habit d'apparat avec toutes ses médailles accrochées à sa poitrine, il est radieux, très jovial
et entrevoit l'issue favorable de la bataille. Dans le bas du tableau
les soldats, les fantassins, les piou-pious qui se reposent,
étendus près des tambours dorés et qui se relèvent
lentement non pour reprendre le combat mais pour la visite de
l'empereur. La tenue des piou-pious est négligée, Pitou, c'est le "fayot", il réarrange
sa veste et les noms qu'ils prononcent sont des superlatifs,
des grands noms, des "Majesté". Ce sont des superlatifs
de puissance, de grandeur qui lui donne le vertige. Un autre soldat qui
semblait sommeiller, appuyé sur son fusil adresse un simple "Vive
l'empereur", tandis qu'un autre comme paralysé ne trouve pas ses mots. Au centre de la gravure, un soldat est mis en
relief, il est encore plus endormi que les autres car il se demande à
qui peut bien s'adresser ces "vive l'empereur" alors qu'il est
devant lui. Aurait-il pris les commentaires flatteurs pour lui ? Boquillon,
simple soldat de l'empire serait-il devenu empereur ? sa position est
grotesque car en s'adressant à son collègue il montre son
"derrière" à l'empereur.
2-Une visite surprise
On l'aura
compris, cette gravure est une caricature de l'armée, des soldats débraillés, endormis, couchés
dans l'herbe découvrant leur empereur, leur chef qui vient leur
rendre visite par surprise, sans prévenir. En dévalorisant
cette armée apathique, Rimbaud justifie son refus
de soutenir ses collègues de classe qui décident de vendre
leurs livres pour leur envoyer l'argent. C'est aussi une façon
de se démarquer, de ne pas suivre stupidement les autres, ces "anciens imbéciles de collège". On retrouve
dans ce tableau les satires qu'il en fait dans sa lettre
à Izambard du 25 août 1870. L'armée n'est qu'une prud'homesque
population spadassine qui gesticule, ce ne sont que des
notaires, des vitriers, des percepteurs, des menuisiers, des gens qui
ne pensent qu'à manger, des ventres, et qui le
Chassepot au cur fait du patriotisme. Comment une
telle armée peut-elle avoir remporté une bataille ? ce sont
les journaux qui l'affirment mais il ne les reçoit plus avec la
guerre.
3-Un feu d'artifice
Cette guerre est décidément bien mal venue, elle le condamne
à lire le journal local "Le courrier des Ardennes", des
faits divers sans importance alors qu'il ne reçoit plus la presse
parisienne, celle qui fait l'opinion, qui publie les événements
marquants. L'éclatante victoire de Sarrebruck est une invention de journaliste car Sarrebruck est un simple accrochage sans importance et n'a rien à voir avec une éclatante victoire.
Cette armée n'est composée que d'hommes "ventrus"
peu aptes aux exercices militaires, ils pérégrinent dans
les rues, au lieu de se battre. Éclatante était la victoire
annoncée par les journaux parisiens, il ne pouvait en être
autrement et cette victoire était bien celle de nos piou-pious.
Ce que Rimbaud reproche dans le comportement humain c'est leur attitude,
malgré le procédé onomastique utilisant les noms
propres pour désigner les coupables, les piou-pious ne sont que
de simple pions sous leurs uniformes, ils obéissent
sans véritable motivation. Dans les deux quatrains
les effets poétiques sont inexistants puis tout s'accélère
dans les tercets. Rimbaud accélère le rythme, multiplie
les allitérations en dentale 'd", "A droite, Dumayet", donnant un effet acoustique de pas, puis
en sifflante, "s", "son chassepot sent", "un schako surgit"
rappelant le bruit des balles, dans la labio-dentale, "v", "Vive
l'empereur, son voisin", et enfin dans la bilabiale
"b", "Boquillon rouge et bleu".
Tous ces bruits sont des bruits de guerre, de bataille, d'armes. Les deux
tercets réussissent une sorte d'apothéose sonore, cette
éclatante victoire de Sarrebruck qui représente plus un
feu d'artifice qu'une bataille méritait bien une gravure.
Conclusion
"L'éclatante victoire de Sarrebruck" ne fut éclatante
que dans l'imagination de certains journalistes. De victoire il n'y en
eut point. Cette victoire imaginaire doit être commémorée
comme il se doit pour mobiliser les troupes. Rimbaud nous en tire ici
un magnifique feu d'artifice dans lequel il n'a jamais aussi bien utilisé
le sonnet. Vocabulaire
Piou-piou
Terme populaire désignant les fantassins.
Le fusil s'appelle le Chassepot, il était très supérieur au fusil Dreyse des prussiens.
Pitou
Personnage type du soldat niais et naïf, troupier ridicule popularisé
par les caricatures. C'est le jeune soldat à qui on fait croire
n'importe quoi.
Dumanet
Même sens que Pitou, autre type de soldat naïf. Pitou et Dumanet
sont souvent associés.
Chassepot
C'est le nouveau fusil expérimenté pour la première fois en 1870 par les fantassins à Sedan, le fusil prussien est le Dreyse.
Schako
C'est la coiffure militaire rigide, à visière de forme tronconique
portée par les soldats (voir le fantassin).
Boquillon
Personnage farfelu sorti d'un journal satirique "la lanterne de Boquillon", c'est un fantassin ventru à l'attitude équivoque.
Babataille de Sarrebruck :
Sarrebruck, ville d'Allemagne,
à la frontière française, capitale de la Sarre.
La bataille de Sarrebruck, a lieu le 2 août 1870, soit 1 mois avant
la défaite de Sedan. C'est militairement un accrochage sans intérêt
mais les journaux en firent une victoire des troupes françaises.
Rimbaud nous en donne ici une image aux couleurs d'Épinal, faussement
naïve.
Napoléon III, l'Empereur
Charles-Louis-Napoléon Bonaparte, Napoléon III est le neveu de Napoléon, le 3ème fils de son frère Louis Bonaparte, roi de Hollande et d'Hortense de Beauharnais.
Bleue et jaune
C'est la tenue de la garde personnelle de l'empereur.
Chronologie des événements
19/7/1870
Déclaration de guerre
28/7/1870
Napoléon III à Metz
2/8/1870
Victoire française de Sarrebruck
Rimbaud en août 1870
Rimbaud obtient le prix d'excellence, le premier prix de discours latin, de discours français, de vers latins, de version latine, grecque. Il refuse de s'associer à une souscription patriotique lancée par les élèves de sa classe pour envoyer l'argent à l'armée française. Rimbaud vendra lui-même ses livres pour financer ses fugue à venir.
6/8/1870
Défaites de Reichshoffen et de Forbach. Reprise de Sarrebrück par les Prussiens.
28/8/1870 Départ du prince impérial pour Sedan
29/8/1890
1ère fugue
1/9/1870
Défaite de Sedan. Napoléon III est emmené prisonnier par les Prussiens au château de Whilhelmsöhe à Kassel en Allemagne.
3/9/1870
Écriture de "Morts de Quatre-vingt-douze
6/9/1870
Rimbaud chez les surs Gindre
6/10/1870
2ème fugue.
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