26/03/2023
Rimbaud expliqué, Poésies

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RIMBAUD : Les corbeaux (début 1871) Poésies


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Corbeaux, oiseaux passereaux de l'hémisphère nord au plumage noir et au bec féroce


Poème : Les corbeaux


"Les corbeaux" est le 24ème poème sur 44 du recueil "Poésies" entre "Ma Bohème" et "Les Assis" (Classification Gallimard/poésies).

SEIGNEUR, quand froide est la prairie,
Quand, dans les hameaux abattus,
Les longs angélus se sont tus ...
Sur la nature défleurie
Faites s'abattre des grands cieux
Les chers corbeaux délicieux.

Armée étrange aux cris sévères,
Les vents froids attaquent vos nids !
Vous le long des fleuves jaunis,
Sur les routes aux vieux calvaires,
Sur les fossés et, sur les trous
Dispersez-vous, ralliez-vous !

Par milliers, sur les champs de France,
Où dorment des morts d'avant-hier,
Tournoyez, n'est-ce pas l'hiver,
Pour que chaque passant repense !
Sois donc le crieur du devoir,
Ô notre funèbre oiseau noir !

Mais, saints du ciel, en haut du chêne,.
Mât perdu dans le soir charmé,
Laissez les fauvettes de mai
Pour ceux qu'au fond du bois enchaîne,
Dans l'herbe d'où l'on ne peut fuir,
La défaite sans avenir.

Poésies
1- Les étrennes des orphelins
2-Sensation
3-Soleil et chair
4-Ophélie
5-Bal des pendus
6-Le Châtiment de Tartuffe
7-Le forgeron
8-A la musique
9-Morts de Quatre-vingt-douze et 93
10-Vénus anadyomène
11Première soirée
12-Les réparties de Nina
13-Les effarés
14-Roman
15-Le mal
16-Rages de Césars
17-Rêvé pour l'hiver
18-Le dormeur du Val
19-Au cabaret-vert
20-La Maline
21-L'éclatante victoire de Sarrebrück
22-Le buffet
23-Ma Bohème (Fantaisie)

24-Les corbeaux
25-Les assis
26-Tête de faune
27-Les douaniers
28-Oraison du soir
29-Chant de guerre parisien
30-Mes petites amoureuses
31-Accroupissements
32-Les poètes de sept ans
33-L'Orgie parisienne ou Paris se repeuple
34-Le coeur du pitre
35-Les pauvres à l'église
36-Les mains de Jeanne-Marie
37Les soeurs de charité...
38-Voyelles
39-L'étoile a pleuré rose au..
40-Le juste restait droit..
41-Ce qu'on dit au poète à..
42-Les premières communions
43-Les Chercheuses de poux
44-Le bateau ivre

Plan
1-Un mémorial aux morts

les corbeaux pour raviver le souvenir et éviter l'oubli
Les corbeaux, une image d'immobilisme, de fonctionnaire
2-Un double échec
L'échec de la guerre franco-allemande de 1870
Un échec Rimbaldien de mouvement et d'avenir
Un enterrement à peine dessiné


Commentaire rédigé


Ce poème en octosyllabes est composé de 4 sixains à rebours à rimes embrassées ABBA suivi de 2 rimes plates CC au lieu du format habituel du sizain qui n'a pas 2 rimes plates à la fin mais au début suivi de rimes embrassées, AABCCB ou AABCBC. Le poème "Les corbeaux"est en octosyllabes) à rimes embrassées suivies de 2 rimes plates est une comparaison, chez Rimbaud, entre sa défaite littéraire auprès des salons parisiens lorsqu'il revient dans les Ardennes en 1872 et la défaite française dans la guerre franco-allemande de 1870. Le titre à lui seul donne le ton au poème, il s'agit de corbeaux qui s'abattent l'hiver par milliers sur les campagnes pillant les champs ensemencés ou les prairies. Le premier sizain est un simple constat de la nature en hiver avec l'arrivée de ces oiseaux magnifiés par "cher corbeaux délicieux". Dans une première lecture, ce qualificatif peut surprendre car ces oiseaux ne sont pas chassés pour leur qualités gustatives, ce sont des oiseaux peu farouches. La multitude des corbeaux indique un destin collectif, il s'agit d'une armée animée d'un objectif de conquête ou de défense qualifiée d'étrange. Cette armée communique par des cris, sons proférés dans des états de colère, et est poussée hors de son territoire naturel le long des fleuves et des routes en raison d'éléments naturels contraires. "Dispersez-vous, ralliez vous" qui apparaît comme une stratégie naturelle chez ces animaux pour échapper à leurs prédateurs devient ici une devise appelant des parties adverses à se réunir autour d'une même idée.

Un crieur du devoir
Notre corbeau qui pille les récoltes en poussant des cris rauques nous appelle simplement en fait à notre devoir de souvenir. Ces oiseaux noirs nous rappelle, en une sorte de mémorial mobile, l'existence des faits mémorables de notre histoire. La couleur noire de ces oiseaux, celle de la mort, du deuil, ne peut que rappeler celle d'un monde où sont niées les valeurs que l'on sait fondamentales pour Rimbaud, le mouvement et l'avenir. Le noir devient le symbole de l'absence de tout mouvement, la mort. Ce mouvement Rimbaldien à fois d'expansion et d'harmonie emporte chaque sizain d'une seule coulée rythmique sans pause ni césure jusqu'au vers final qui apparaît comme un point d'orgue idéologique. Le rythme du mouvement est chaotique avec l'emploi de "tournoyez" amplifié et accéléré par les allitérations en "p" et "s", de l'assonance "an" de "passant repense".

Un souvenir de défaite
Il ne s'agit pas d'oublier les morts, surtout les soldats tués lors de la défaite française de la guerre. On se souvient souvent injustement des gagnants et rarement des perdants. Par cette image Rimbaud nous appelle à se souvenir également de lui qui vient de connaître une défaite. En commençant par "seigneur" le poème prend la forme d'une prière, d'une requêteà Dieu, confirmée par la présence de "saints" dans le dernier sizain. Notre auteur attend un miracle, un nouveau départ, un nouveau printemps. On sait l'importance des saisons chez Rimbaud, son printemps est annoncé par la fauvette de mai. La fauvette de mai au chant agréable c'est Rimbaud. La fin du poème est désespérément pessimiste. Les trois derniers vers commencent par "laissez", un terme d'abandon que l'on retrouve parfois associé au verbe tomber, aller qui indique le désarroi de l'auteur qui attendait un succès immédiat de sa poésie. Désabusé en ce début 1871, par sa nouvelle fugue vers Paris en raison de l'occupation de sa ville de Charleville par les allemands puis par le début de la commune de Paris, autant d'événements qui font passer au second plan ses préoccupations littéraire, le poème s'achève sur un enlisement, un enterrement. Désormais il ne peut plus fuir et il constate définitivement sa défaite, il n'y avait dans sa poésie comme dans la défaite plus d'avenir.

Conclusion
Le poème "les corbeaux" est un registre obituaire, une liste de défunts dont on doit célébrer l'anniversaire de la mort. Parmi ceux-ci des soldats mais aussi Rimbaud vaincu par ses aînés du Parnasse. Toutefois ce poème est remarquable et montre que la nature est prépondérante chez Rimbaud pour nous faire passer ses états d'âme.

Vocabulaire

Les corbeaux
Il n'existe pas de manuscrit de ce poème, dont la date est incertaine : 1871 ou 1872 ? Il a été publié le 14 septembre 1872 dans la Renaissance littéraire et artistique , dont Rimbaud avait rencontré le directeur, E. Blémond à Paris, grâce à Verlaine.

Sizain et sizain inversé
Le sizain consiste à 2 vers à rimes plates suivis de 4 vers à rimes embrassées ou croisées (AABCCB) ou (AABCBC). C'est la forme adoptée par la stance de Malherbe. Une seule fois, chez Malherbe, nous avons le schèma (ABBACC) qui, est un sizain à rebours qui est très utilisé dans les chansons.
souvent les sizains sont disposés en rhythmus tripertitus, soit dans le schème (AABAAB), sur deux rimes, soit (AABCCB) sur trois rimes. Les rhétoriqueurs ont recommandé la première de ces deux formules. Souvent la strophe est couée; c'est à dire un sizain composé de quatre vers longs et de deux vers courts (3e et 6e vers). Le Moyen Âge, qui avait inventé cette forme, avait surtout pratiqué les mètres courts. Au XVIIe siècle, elle était encore fort prisée; puis elle s'est fait rare, pour réapparaître, avec le romantisme, d'abord chez Sainte-Beuve, puis chez Victor Hugo qui a pratiqué la strophe couée brève, avec par exemple des sizains (A7A7b4C7C7b4).

C'est la strophe couée brève qui a fait la fortune de Verlaine dans:
Les sanglots long
Des violons
De l'automne
Blessent mon cœur
D'une langueur
Monotone.


Où dorment les morts d'avant-hier ?
il y a une indécision, il s'agit probablement des morts de la guerre de 1870 contre la Prusse, ceux d'hier étant ceux de la commune de Paris de 1872.

Strophe coué
La strophe couée (de caudatus qui signifie « à queue »), est la strophe privilégiée des vers courts

Originellement liée à la tragédie grecque dont elle désigne un moment, la strophe est un ensemble de vers reliés entre eux selon un schéma rythmique préétabli et/ou selon un système de rimes. Elle est encadrée par des lignes de blancs ou des silences et comporte parfois une césure. Un poème est composé la plupart du temps de strophes à structure identique. Cependant, il est possible de varier les formes strophiques à l'intérieur du poème. C'était même la règle à l'origine, dans le théâtre grec où le chœur chantait la strophe, l'antistrophe et l'épode (ce dernier sur un rythme différent) en traversant la scène par trois mouvements (strophein signifie « tourner »).

Comme la perception de la strophe en tant qu'unité autonome exige (au moins dans la poésie française) le retour des rimes identiques, la plus petite strophe est le quatrain. La disposition des rimes est soit ABBA, soit ABAB (embrassées ou croisées), avec obligation de changer les rimes féminines en masculines et inversement dans la strophe suivante. La solidarité des vers à l'intérieur de la strophe peut être renforcée par l'alternance des vers courts et longs en accord ou non avec celle des rimes. Dans la strophe couée (de caudatus qui signifie « à queue »), les vers courts sont reliés par la même rime.

Dans les strophes plus longues (quintil, sixain, septain, huitain, neuvain, dizain, etc.), le poète met en place des repères de plus en plus nombreux. À mesure qu'elles deviennent plus complexes, les axes de symétrie passant par une « rime charnière » (Morier) ou entre deux vers — césure strophique — se conjuguent de plus en plus avec la structure sémantique de la strophe. Mais l'enjambement est possible et peut être très efficace.

Certains genres poétiques ont une formule régissant l'agencement des rimes, tel le sonnet : ABBA-ABBA-CCD-EED.

Angélus
Prière commençant par ce mot chantée le matin, à midi et le soir et sonnerie de cloche annonçant cette prière . Dans les campagnes, sonnerie de cloche à 7h, 12h et 19h.

Corbeau
Oiseau passereau de l'hémisphère nord au plumage noir et au bec féroce

Chers corbeaux délicieux
Métaphore pour les fonctionnaires, les corbeaux sont peu farouches et restent immobiles si on essaie de les faire fuir. Les corbeaux ont une connotation d'immobilisme (en dehors de leur couleur noire symbole de mort). Rimbaud ironise sur les gardiens de l'immobilisme, les serviteurs honteux de la sédentarité, les empêcheurs de fuguer et marcher que sont les fonctionnaires issus généralement de la bourgeoisie.

Mémorial
Ouvrage dans lequel sont consignés des faits mémorables, monument qui les commémorise.
On considère le poème "Corbeaux" comme un mémorial ou Rimbaud appelle les oiseaux noirs à témoigner de la litanie des morts et des disparus comme un monument. Un monument commémoratif rappelle à chaque passant de se rappeler comme les corbeaux.

Tournoyer
Tourner irrégulièrement plusieurs fois sur soi-même.

Fauvette

Oiseau passereau au chant agréable


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