26/09/2023 |
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RIMBAUD : Au cabaret-vert, cinq heures du soir (oct. 1870) Poésies | ||
Poème : Au cabaret vert
1er cahier 1- Première soirée 2-Sensation 3-Le forgeron 4-Soleil et chair 5-Ophélie 6-Bal des pendus 7-Le Châtiment de Tartuffe 8-Vénus anadyomène 9-Les réparties de Nina 10-A la musique 11-Les effarés 12-Roman 13-« Morts de Quatre-vingt-douze » 14-Le mal 15-Rages de Césars 2ème cahier 16-Rêvé pour l'hiver 17-Le dormeur du Val 18-Au cabaret-vert 19-La Maline 20-L'éclatante victoire de Sarrebrück 21-Le buffet 22-Ma Bohème (Fantaisie) PLAN 1-La marche de la liberté 2-Un bonheur simple 3-L'obsession amoureuse des adolescents Commentaire rédigé "Au cabaret vert" est avec "La Maline", "Rêvé pour l'hiver" un des poèmes recopiées à Douai, rassemblés dans un premier recueil adressé à Paul Demeny dans l'espoir d'être imprimé à Paris et qui relate la fugue en Belgique, la liberté adolescente d'un jeune poète de 16 ans. C'est un sonnet en alexandrins. 1-La marche de la liberté Le titre est explicite "Au cabaret-vert", mais pourrait plonger par erreur le lecteur à l'intérieur d'un établissement de spectacle dans lequel les spectateurs peuvent se restaurer. Il ne s'agit pas d'un cabaret mais d'un restaurant de routiers en Belgique. Rimbaud s'ennuie à Charleville dans d'interminables vacances scolaires de l'année 1870, en raison de la guerre, à faire le marché, tenant la main de son idiot de frère Frédéric précédé par ses deux surs Vitalie et Isabelle se tenant également la main et suivie par la redoutable "mother" autoritaire. Il va fuguer en Belgique, à pied, en train, une chevauchée épuisante de près de 100 kilomètres en 8 jours avec des chaussures en mauvais état à travers la campagne ardennaise. C'est au cours d'une halte dans un cabaret connu de Charleroi, La Maison verte, une auberge de routiers, ainsi qualifiée parce que tout y était peint en vert, même les meubles, qu'il nous dépeint ce rare moment de bonheur, de liberté. C'est bien par rejet d'une existence qui ne lui convient pas que notre poète justifie sa fugue. La multiplication des références donne à cette poésie un aspect autobiographique visant à rendre compte d'un instantané vécu, une sorte de note de voyage. Ce voyage nous est décrit avec précision et réalisme, à pied, avec des chaussures usagées, s'y ajoute la précision de l'heure, 17 heures.Les rejets qui ont motivé son départ sont présents dans tout le poème, il y a six enjambements (v.1,3,5,6,12,13) ; trois rejets (v.4,6,13) ; et un contre-rejet (v.13) ; tout est improvisé, décousu et traduits par des alexandrins dissymétriques, mal découpés, parfois boiteux comme le dernier alexandrin du premier tercet dont la longueur n'est sauvé que par une double diérèse douteuse, ti/è/de et colo/ri/é, par des rimes inhabituelles croisées ABAB au lieu d'embrassées ABBA pour les quatrains d'un sonnet, par un vocabulaire très familier " ce fut adorable", "celle-là", "tétons énormes". 2-Un bonheur simple Tout, dans cette auberge est fait pour la satisfaction du client aussi jeune soit-il et aussi seul dans ce restaurant à 5 heures du soir, le sourire commercial de la serveuse, on lui demande, ce qui est inhabituel pour lui, ce qu'il souhaite manger, et le décor, les meubles sont d'un vert apaisant comme la nature. Il est fatigué et il peut se décontracter, se reposer, se mettre à l'aise, il "allonge les jambes", il "contemple". Le poète cherche à retrouver une fraîcheur physique, suggérée par les couleurs "blanc" et "rose" du jambon étendu sur le plat, le jambon rappelant étrangement les jambes fatiguées de notre bohémien. Le poète nous fait une description précise des lieux, la tapisserie composée probablement d'un papier peint banal, devient source d'émerveillement avec les dessins simples qui le composent d'ordinaire qui deviennent des sujets naïfs, ce qui est plus valorisant. Même la modeste décoration du plat le ravit, il est colorié, la diérèse accentue le caractère naïf, enfantin d'un enfant découvrant son premier cahier de coloriage. La description de la nourriture fait références aux habituelles sensations visuelles, olfactives et tactiles. Dans le premier quatrain, il fait la demande de tartines et de jambon, à moitié froid car il s'agit dans son esprit de jambon brut qui se mange d'ordinaire chaud ou froid. On lui apporte des tranches de jambon de Paris, rose et blanc, parfumées d'ail sur un plat et non caché entre deux tranches de pain. La couleur du jambon rose et blanc était déjà celle de la joue de La Maline, "un velours de pêche rose et blanc". Ce jambon est tiède, conforme à sa commande d'un jambon, à moitié froid. Les détails alimentaires sont fréquemment réitérés, tartines, jambon, beurre, sont avec baiser constamment utilisés comme pour marquer un ressassement de plaisir ou un désir obsessionnel. Le repas est, cependant, tout ce qu'il y a de plus banal, du jambon, mais il procure au marcheur épuisé et affamé un plaisir immense. La sensualité matérialiste d'un simple casse-croûte se transforme ici, dans ce décor apaisant et sous la présence joyeuse de cette serveuse, en un bonheur quasi spirituel qui atteint son paroxysme dans l'éclat sous les rayons du soleil rasant à cette heure de la journée de la mousse abondante d'une chope de bière démesurée pour un enfant. Tout concours à ce bonheur, le charme de la serveuse avec son sourire commercial que notre naïf enfant prend pour une marque d'affection, les sollicitations sensuelles avec les appâts physiques provocateurs de la serveuse, des seins volumineux, une attitude provocatrice, aguichante, espiègle, gaie, joyeuse, "-Celle-là, ce n'est pas un baiser qui l'épeure". Il y a dès la commande une sorte de communion avec la serveuse, elle est gaie, joyeuse, libre comme lui, il la décrit de manière enthousiaste et se plaîtà imaginer avec elle, un premier baiser. Il y a constamment chez les adolescents, la recherche de ce premier baiser, de savoir quand et comment il se donne. Avec ce baiser quasi obsessionnel chez Rimbaud tout au long de cette fugue en Belgique qui pourrait prendre les allures d'une quête amoureuse, on ne sait jamais s'il s'agit bien de la recherche d'un baiser d'amour ou le souvenir de celui d'une mère. Le poème propose donc une image sensuelle et prosaïque du bonheur, qui prend la forme d'un rêve et d'un idéal. Le cabaret avec sa couleur verte qui rappelle la nature, les rayons du soleil, la présence maternelle des "tétons énormes" des femmes qui viennent d'avoir un enfant, sont des images teintées de de rêve et d'idéal d'une enfance heureuse qu'il n'a pas eu, un père absent, une mère autoritaire, dans une ville sans attrait Charleville, qu'il appellera "Charlestown". 3-L'obsession amoureuse des adolescents Commencé par "Rêvé pour l'hiver" pour le trajet vers Charleroi qu'il imaginait dans un petit wagon rose, entrecoupé par "Le dormeur du Val", suivi par "La Maline" qui est comme la suite de ce poème avec la serveuse d'un autre restaurant, ce cycle de la fugue de Rimbaud en Belgique nous retrace la difficile quête des adolescents dans la recherche amoureuse. Si Rimbaud conserve la forme traditionnelle du sonnet, propice au lyrisme amoureux, il en bouleverse la syntaxe, les rimes, pour mieux marquer son trouble émotionnel. A 16 ans, on veut aller vite, brûler les étapes, les très nombreux enjambements témoignent de l'impatience de l'auteur. Malgré sa volonté d'imiter les parnassiens, notre apprenti poète prend quelques libertés avec les conventions poétiques, une grande familiarité du langage, on trouve un plat, une tartine, une chope, une gousse d'ail, qui nous renvoie à une réalité trop prosaïque, trop terre à terre, trop livre de cuisine au lieu de nous exprimer des valeurs morales de liberté qu'il semble défendre. Il y a aussi cette provocation constante dans les poèmes de Rimbaud du tiret - précédant la phrase pour signaler graphiquement qu'il s'agit d'une intrusion, d'une intervention personnelle de Rimbaud, pour exprimer ses sentiments. Conclusion Ce poème écrit seulement à l'âge de seize ans est déjà très significatif des dispositions poétiques prometteuses d'Arthur Rimbaud. Rimbaud ne sépare jamais la poésie et la vie, il est toujours fortement présent dans ses poèmes, souvent écrit à la première personne "J'allongeai", "j'avais", "j'entrais", "je demandai", "je contemplai", "m'apporta", "m'emplit". Ce poème revendique clairement le caractère autobiographique d'un Rimbaud qui cherche à construire sa propre image, celle d'un bohémien courant la nature, seul, en quête de bonheur, d'absolu, pour fuir la laideur de sa province natale, l'ennui d'une famille gouvernée par une femme abandonnée de son mari et autoritaire, et rechercher le bonheur d'une enfance qu'il n'a pas eue, qu'il revendique et qu'il est prêt à tout pour trouver. Le Cabaret-Vert restera longtemps dans la mémoire du jeune homme, évocation vivante d’un court mais intense moment de bonheur éprouvé dans un lieu pourtant très simple. C'est une bel exemple de transfiguration de la réalité par l'imaginaire qui plus tard deviendront autant d'illuminations, des visions éclatantes de vie et de couleurs d'éléments les plus banals de notre existence. Vocabulaire |
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