
Un buffet
Poème : Le buffet
Le buffet " est le 6ème poème sur 7 du 2ème Cahier
de Douai.
Le bufet est un meuble généralement à deux corps superposés, dont l'un, celui du bas, plus profond, est réservé à la vaisselle, et l'autre, celui du haut, à la verrerie.
LE CAHIER DE DOUAI
1er cahier C'est un large buffet sculpté ; le chêne sombre,
Très vieux, a pris cet air si bon des vieilles gens ;
Le buffet est ouvert, et verse dans son ombre
Comme un flot de vin vieux, des parfums engageants ;
Tout plein, c'est un fouillis de vieilles vieilleries,
De linges odorants et jaunes, de chiffons
De femmes ou d'enfants, de dentelles flétries,
De fichus de grand'mère où sont peints des griffons ;
- C'est là qu'on trouverait les médaillons, les mèches
De cheveux blancs ou blonds, les portraits, les fleurs sèches
Dont le parfum se mêle à des parfums de fruits.
- Ô buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires,
Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruis
Quand s'ouvrent lentement tes grandes portes noires.
1- Première soirée
2-Sensation
3-Le forgeron
4-Soleil et chair
5-Ophélie
6-Bal des pendus
7-Le Châtiment de Tartuffe
8-Vénus anadyomène
9-Les réparties de Nina
10-A la musique
11-Les effarés
12-Roman
13-« Morts de Quatre-vingt-douze »
14-Le mal
15-Rages de Césars
2ème cahier
16-Rêvé pour l'hiver
17-Le dormeur du Val
18-Au cabaret-vert
19-La Maline
20-L'éclatante victoire de Sarrebrück
21-Le buffet
22-Ma Bohème (Fantaisie)
PLAN
1-Un amoncellement de souvenirs
Vieux linge, vieilleries, odeurs d'époque
2-Un au-delà des choses
Les vieilleries, objets usés ou démodés ont une histoire
3-Une grande sensibilité
La mémoire du temps passé
Commentaire rédigé
Ce poème comme l'ensemble des 7 poèmes du second cahier de Douai dont fait partie "le buffet" a la forme d'un sonnet, deux quatrains suivis de deux
tercets en alexandrins. C'est l'avant dernier des 22 poèmes du Cahier de Douai, précédant "la Bohème". Il a été
écrit probablement lors de son séjour en septembre 1870 à Douai chez les demoiselles Gimbre tantes de son professeur de lettres Izambard. Forme contraignante, le sonnet
oppose généralement les tercets aux quatrains. Les deux tercets sont précédés d'un tiret, signe servant à séparer les parties d'une énumération.
Un amoncellement de souvenirs
Les buffets de nos campagnes ont vite perdu leur fonction première
de rangement à vaisselle pour aller meubler diverses pièces
et devenir des malles à souvenirs. Pour le jeune Rimbaud qui n'a
que 16 ans, ces buffets sculptés sont à l'image de leur
contenu, des choses qui ne servent plus à rien, de vieux linges
jaunis, de vieux vêtements démodés ou usagés. Il s'en dégage encore l'odeur
des temps anciens. Ce buffet est comme personnalisé, il a pris
par mimétisme l'air bon, la gentillesse et la générosité
de ses propriétaires, les deux tantes qui l'hébergent. Rimbaud
n'est pas ingrat, il ne vilipende plus les vieux mais a une reconnaissance
de circonstance pour ses logeuses. L'air bon est ici accentué par
l'adverbe si. Toutes ces choses désormais inutiles sont entassées
dans ce buffet comme on garde des souvenirs. Ce qui transparaît
c'est l'absence de rangement, c'est un fouillis où les choses sont entassées pèle
mêle au fur et à mesure de leur inutilité ou de leur usure . On découvre
de vieux fichus, de vieux napperons. Mais c'est aussi, plus profondément
cachés que doivent se trouver des souvenirs plus personnels, des
photos de parents disparus, des mèches de cheveux de défunts.
Ce buffet qui regorge de souvenirs contient en fait toute la mémoire
des habitants de cette maison conservés sans ordre précis
dans cette sorte d'intimité.
Un au-delà des choses
Rimbaud se
plaît à philosopher sur l'au-delà des choses. Les choses
prennent fin lorsque nous cessons de les utiliser, mais nous en conservons
certaines pour leur valeur sentimentale. Les choses devenues inutiles
ont encore une histoire à raconter. On respecte les vieilles personnes
car elle sont la mémoire de notre histoire récente et nous
raconte un temps que nous n'avons pas connu. Ce buffet sait bien des choses
mais elles sont ici enfermées. Nous les ressortons pour leur faire raconter leur histoire. Rimbaud lui
même dans "Une saison en enfer" évoquera ses goûts
artistiques en soulignant son attirance pour la naïveté. Il
aimait les ..Romans de l'enfance, les petits livres de l'enfance, les
refrains niais. Les enfants sont toujours attirés par les greniers
qui regorgent généralement de vieux souvenirs rappelant
des périodes antérieures. Ces objets inutiles qui encombrent
nos buffets sont souvent des affaires de notre enfance, de vieux jouets
que l'on conserve précieusement. Ce
qui est étonnant c'est l'attitude bienveillante de Rimbaud devant
ces souvenirs. Généralement, ce sont les personnes âgées
qui essaient de faire renaître la félicité d'un passé
comme dans une sorte de rêve en arrière, pour retraverser
à l'envers une existence et se donner l'illusion de revenir enfant.
En ouvrant le buffet il revient les bouffées d'autrefois, les sensations
de jeunesse, les élans même, des visions de choses oubliées.
Une grande sensibilité
Pour tout lecteur habitué au ton méprisant de Rimbaud, notre poète fait ici preuve d'une grande sensibilité pour la mémoire du temps à travers des objets qui ont fini leur vie mais qui ont encore la mémoire tu temps passé. Ce buffet a l'apparence généreuse, il verse des flots de parfums, les objets ont conservé les odeurs de leur époque et témoignent ainsi à leur façon du temps passé. En qualifiant les parfums d'engageants, il redonne comme une seconde vie à ces objets. Les deux derniers vers viennent ici nuancer notre imaginaire car ce buffet grince et a la couleur noire de la mort. En ouvrant avec précaution ce buffet nous allons trouver de bons souvenirs mais aussi des souvenirs plus douloureux, de défunts par exemple.
Conclusion
"La buffet" nous présente un Rimbaud bien jeune déjà
attaché aux souvenirs auxquels il accorde une valeur émotionnelle.
Les choses même inutile ont encore bien des choses à nous
raconter. Il est bon de conserver ces preuves de notre existence, les
bonnes comme les moins bonnes. C'est à un Rimbaud bien sentimental
que nous avons affaire ici. Avec un vocabulaire simple, des répétitions
multiples sur les mots "vieux", "vieille", "conte",
Rimbaud nous apparaît d'une rare sensibilité et pour une
fois sans agressivité.
Vocabulaire
Buffet :
Meuble, souvent à deux corps superposés, où on range la vaisselle, les couverts, la verrerie.
Vieillerie :
Objet ancien, usé ou démodé.
Griffons :
Chien au poil rude et broussailleux.
Fichu :
Triangle d'étoffe dont les femmes se couvrent les épaules ou la tête.
Sonnet :
Poème de quatorze vers composé de deux quatrains et de deux tercets et soumis à des règles fixes pour la disposition des rimes. Le sonnet est apparu en Sicile au XIIIème siècle et a été popularisé par les poètes italiens dont Pétrarque, Dante. Il a été repris par les poètes de la Renaissance dont Ronsard. La structure des quatre rimes la plus habituelle chez les français : la rime marotique au XVIème ABBA ABBA CCD EED puis on change l'ordre du dernier tercet avec les rimes françaises des XVIè-XIXème ABBA ABBA CCD EDE.
Avec Shakespeare (XVIe-XVIIe) nous avons des sonnets avec trois quatrains et 1 distique (2 vers).
Baudelaire utilisera toutes les variations.
Douai
60000 habitants, chef lieu d'arrondissement du Nord sur la Scarpe dans la banlieue de Lens, à côté de Valenciennes, à 70 Km de Charleville.
Aujourd'hui Charleville-Mézières, chef lieu de département des Ardennes sur la Meuse 60000 habitants. Rimbaud y naquit en 1854 (mort à Marseille en 1891 à 37 ans).
La photo du site est un tableau de Rimbaud par Fantin-Latour exposé au Musée du Louvre
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